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« Le Cas Richard Jewell » : Le film le plus progressiste de Clint Eastwood depuis 10 ans

« Le Cas Richard Jewell » : Le film le plus progressiste de Clint Eastwood depuis 10 ans

Marin Woisard

À l’âge de 89 ans, Clint Eastwood signe une critique prolétaire contre l’engrenage médiatique et l’acharnement gouvernemental, soit une œuvre étonnamment engagée qui prend ses précédents films patriotiques et réactionnaires à contre-pied.

On arrive forcément avec des avis préconçus en allant voir un film. Pour le 38ème de Clint Eastwood, on avait presque déjà un titre avant d’entrer au cinéma : « Clint dégaine à droite avec Le Cas Richard Jewell. » La référence aurait volontairement tapé sur la politisation républicaniste et ultra réactionnaire de cette icône sur le déclin, souvent tombée dans le pastiche de son personnage conservateur de Gran Torino, évoquant notre « génération mauviette » dans une interview pour Esquire. On passe ses mille propos inintéressants et rétrogrades pour ne garder que celui évocateur où il déclarait « comprendre Donald Trump. »

Récemment, ses films portaient aux nues une idéologie immobiliste avec l’éloge du sauveur divin d’American Sniper, Sully et l’infâme 15H17 pour Paris. Autrement dit, Clint Eastwood devenait l’exemple type du vieux con. Et puis, le 13 décembre 2019, il y eut Le Cas Richard Jewell.

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La figure du sauveur américain devenu anti-héros

C’est là le sujet du Cas Richard Jewell : comment un profil idéal à accuser devient la bête noire de l’establishment. Gros beauf attachant de son état, Richard Jewell vivote de petits boulots avant d’intégrer l’équipe chargée de la sécurité des Jeux d’Atlanta en 1996. Alors qu’une bombe est posée dans le village olympique en plein milieu d’un concert, il est le premier à alerter les autorités et sauve de nombreuses vies.

Reclus chez sa mère, célibataire et dingo d’armes à feu, Richard devient vite le suspect numéro 1 du FBI. Le gouvernement par sa puissante agence élabore un scénario monté de toutes pièces où Jewell junior aurait posé une bombe pour s’attirer la lumière médiatique et bénéficier de la reconnaissance qu’il n’a jamais eue. De héros national, il devient l’homme le plus détesté des États-Unis… Comme un certain Clint, qui a un beau parcours d’icône transformée en ringard à revendiquer.

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Sauvé par le gong (et de la bêtise)

Preuve d’une certaine aisance avec le sujet, Clint Eastwood s’amuse de l’imagerie prolétaire de l’électorat républicain : son personnage courre dans les jupes de sa mère, déballe les fusils sur son lit et a une gastro quand il mange trop de burgers. On n’est pas loin des frères Farrelly à la sauce réaliste quand sa bêtise crasse et son respect éternel pour l’autorité fait barrage à sa propre survie en tant qu’individu. Mais le réalisateur arrive à dépasser ce statut de bête de foire – prise dans les feux médiatiques, en le rendant profondément touchant, humain et surprenant.

La scène finale clôt cette évolution avec l’un des plus beaux monologues du cinéma récent de Clint Eastwood, et achève le parcours de cet anti-héros qui apprend à devenir plus qu’un héros, c’est-à-dire lui-même. Adapté d’un article de Marie Brenner paru dans Vanity Fair en 1997, il faut rendre à César ce qui est à César : le scénario de Billy Ray est une merveille d’écriture hollywoodienne classique, et c’est peut-être la grande chance de Clint Eastwood de s’associer à une histoire progressiste, en tant que réalisateur et producteur.

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À droite, mais pas toute

Si la pensée bien à droite du vieux ronchon n’est plus à remettre en question, impossible de ne pas voir une ouverture idéologique avec Le Cas Richard Jewell. Le film s’efforce de décrire deux pouvoirs politiques en place : celui institutionnel et gouvernemental du FBI, et l’autre plus officieux et influent des médias, ainsi que les collusions présentes entre les deux. Le trait est parfois forcé avec l’archétype de la journaliste prête à tout pour arriver à ses fins, notamment passer dans le lit d’un agent du FBI – mais la justesse des scènes arrive toujours à tirer son épingle du jeu, par exemple les dialogues de cette fameuse rencontre.

Au milieu de tout ce ramdam, Richard Jewell apprend à dépasser son adulation pour l’état et la police où il aimerait travailler, et finalement s’accomplir en transgressant les règles qu’il s’était fixées. Dans ce trajet de rébellion intérieure contre le système – où l’on reconnaît certains traits d’un cinéma très américain, l’acteur inconnu au bataillon Paul Walter Hauser excelle et révèle une amplitude de jeu sidérante.

Il fallait au moins un drapeau américain dans un film de Clint Eastwood

Le Clint progressiste et critique de Gran Torino 

On sort parfois du cinéma gondé d’un nouvel espoir. La remise en question d’un idéal et d’un modèle, soit-il patriotique ou médiatique, est toujours bénéfique pour celui qui l’a longtemps embrassé. Clint Eastwood fait amende honorable avec ce 38ème métrage que l’on reconnaît comme l’un de ses plus progressistes depuis 2009 et le sacre de Gran Torino.

S’il fait preuve d’une mise en scène souvent consensuelle, son chemin idéologique résonne jusqu’à nous faire adapter le titre anticipé. Conscient aussi de ses limites, on sait que l’auteur de 89 ans ne nous servira pas avant longtemps une telle remise en question de l’establishment américain. Dès lors, on regrette qu’il n’ait pas pris de plus grandes libertés de mise en scène, quitte à sortir des gonds de la facture classiciste attendue, et qu’il n’ait pas féminisé son discours resté bloqué dans les années 70. On est peut-être trop utopiste. Si le cinéma fait vivre, l’espoir fait s’y rendre.

LE CAS RICHARD JEWELL
Réalisé par Clint Eastwood
Avec Paul Walter Hauser, Sam Rockwell, Kathy Bates
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