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Sarasara, miracle à Margate

Sarasara, miracle à Margate

Marin Woisard

Après un premier album plébiscité par la critique, Sarasara revient avec son nouveau LP « Orgone » sorti sur le label de Björk. La chanteuse française se confie sur son expérience de vie qui en a motivé la composition.

Il y a des rencontres qui vous marquent plus que d’autres, et celle avec Sarasara en fait indéniablement partie. Révélée par sa reprise de « Heroes » de David Bowie, la chanteuse originaire du nord de la France est ce que l’on pourrait appeler une force de la nature. Après la sortie de son premier album « Amor Fati » en 2016, l’artiste a déménagé dans une petite commune du sud de l’Angleterre, Margate, où elle s’est affranchie de ses vieux démons pour écrire un nouvel album hypnotique, « Orgone ».

Un cheminement spirituel en guise de leitmotiv

La chanteuse se place dans la droite lignée des prêtresses FKA Twigs et Björk, qui l’a d’ailleurs signée sur son label. Sa rencontre avec un autre monstre sacré, Peter Doherty, nous confirme que rien n’arrive par hasard à Margate. Après cinq ans de silence studio, le leader des Libertines a posé sa guitare sur le track « Tinkertoy » avec une simplicité désarmante. De sa vie partagée entre coups du sort et signes du destin, Sarasara affirme un univers où les miracles s’accumulent pour devenir le sien, Orgone.

Marin : Hello Sarah. Peux-tu nous raconter quelle est l’histoire de ce double nom de scène ?

Sarasara : Je m’appelle Sarah, c’est mon vrai nom. J’ai 33 ans et je viens d’un petit village dans le sud de l’Avesnois. Sarasara est un surnom que mes copains m’ont donné quand j’étais jeune parce qu’il y avait deux Sarah dans notre groupe. Je trouvais que ça sonnait bien comme nom de scène et c’est resté.

Clique sur la cover pour écouter l’album
Marin : Quel a été ton parcours avant la sortie d’Orgone ?

J’ai commencé à écrire de la musique très jeune sans avoir planifié d’en faire un métier. J’ai fait de l’art lyrique, du piano, tout en continuant mes études de langue et un master en business strategie. J’ai commencé à m’intéresser à la musique électronique, m’acheter des platines, faire du djing. J’ai écrit mon premier album en un peu moins d’un an que j’ai envoyé à un producteur anglais, et j’ai été signée sur le label de Björk très vite après. Je ne l’ai vraiment pas cherché, je le faisais sur mon temps libre. Je savais que j’avais besoin de l’aide d’un producteur pour finaliser mes chansons et tout le côté business que j’ai appris à l’école m’a aidé à concrétiser un deal avec la maison de disque.

Une fois le premier album « Amor Fati » sorti en 2016, j’ai commencé à rencontrer une équipe, tourner en concert… J’ai rencontré à la même époque des choristes avec qui j’ai enregistré une version a cappella. C’est une fratrie avec la sœur qui fait de l’opéra, le second du rap, et le troisième de la soul. Leurs parents leur disaient qu’ils ne feraient jamais de la musique et finalement les trois sont professionnels (rires). Entre temps, je me suis expatriée en Angleterre parce que j’avais besoin de lancer mon nouveau projet. J’ai déménagé à Margate, une petite ville en bord de mer dans le Kent, près de là où j’avais enregistré le premier album. Je me suis dit que je resterais quelques mois pour écrire l’album et finalement je ne suis jamais repartie (rires).

Marin : Ta relation très forte avec le chant donne une aspérité particulière à ton projet. Comment travailles-tu ta voix ?

Sarasara : C’est drôle parce que quand j’étais petite mon prof de français me disait que j’avais une voix de soprano. J’aimais bien prendre des cours de chant mais je ne l’avais jamais envisagé comme un chemin de carrière. J’ai écrit mon premier album le soir et le week-end dans la cuisine de mon petit studio, de manière très murmurée. Jamais je ne m’étais dit que j’irais chercher ces capacités vocales. Quand j’ai rencontré les choristes pour l’album a cappela [NDLR : en 2017], leur énergie a permis de débloquer quelque chose. Je me sens depuis bien plus libre en studio, et mon degré d’ouverture est encore plus fort sur scène.

Sarasara en live avec son sideman Tom Devos
Marin : Justement ce second album se prête plus que jamais à la performance. Est-ce que tu penses au live dès la conception en studio ?

Sarasara : Je t’avoue que pour le premier album je n’avais pas du tout pensé à la manière dont j’allais jouer mon son en live. Ça m’est tombé dessus mais ça s’y prêtait bien avec la production électronique. Sur le deuxième album, il y a beaucoup plus d’instruments organiques, de piano, de drums, de basses. J’ai ressenti le besoin de retrouver l’énergie de l’album sur scène. Pour autant, je n’ai pas écrit l’album en pensant au live d’emblée mais pour le troisième album en cours de conception j’ai vraiment envie d’y penser en amont. Je suis arrivée au stade où je sais ce qu’il m’attend après mais il faut un certain temps d’apprentissage et de découverte.

Sur « Orgone », je suis entourée d’un super ingé son qui nous aide à sortir un mix en fonction de chaque salle. Tom [NDLR : membre du groupe Rocky] qui m’accompagne sur scène est un génie d’Ableton. Il joue en live tout ce qui est percussions, batterie, FX des backing tracks, et il chante un peu avec moi. On travaille une version live avec un pianiste et un contrebassiste pour trouver quelque chose d’organique.

Signée sur le label de Björk, Sarasara confie s’inspirer de son album fondateur « Debut »
Marin : Quelles inspirations ont modelé ta création musicale ?

Sarasara : J’ai beaucoup été inspirée par l’album « Debut » avec les cordes, les cloches, les sons indiens. J’adore aussi l’album « Ultra » de Depeche Mode pour son côté trashouille et distord. En terme de chant, Björk est une idole qui utilise sa voix sans peur et sans reproches. Au quotidien c’est aussi un exemple en terme d’indépendance et de management de son projet. Quand je bosse avec son label One Little Indian, je ressens le côté business woman dont je suis super admirative. C’est une vraie motivation pour mon projet.

Marin : L’un de tes points communs avec Björk est ton appétence pour un visuel très fort. Tu peux nous en parler ?

Sarasara : Je savais dès le début que je voulais appeler mon album « Orgone » et tout est arrivé par là. J’ai un mur blanc géant dans mon studio où j’ai écrit « Orgone », puis des mots et des images sont venus s’ajouter avec l’écriture des maquettes. Des personnes se sont greffées ensuite au projet, notamment un graphic designer anglais qui bosse pour Björk et qui m’a aidé à choisir la palette de couleurs. J’ai une amie photographe qui m’a shooté au Carlton de Lille et à la dernière minute on nous a filé la Suite Royale pour une heure. Repetto nous avait donné des tutus qu’on a mis dans une baignoire en forme d’œuf, et en voyant le résultat on s’est dit qu’il fallait l’utiliser pour l’album.

Au final, tout arrive progressivement avant de se figer. C’est un travail organique de longue haleine. J’ai l’album dans mes mains mais je n’ai pas encore l’image de ce que j’ai réalisé. Plus je le chante, plus j’ai une image de ce que j’ai créé, et plus ça grandit comme une fleur avec ses pétales.

Le shooting photo au Carlton de Lille était spontané et imprévu
Marin : Le terme « organique » est souvent présent ne serait-ce que dans le titre de ton album « Orgone ». Ce mot évoque beaucoup de choses par sa sonorité et son sens, pourquoi ce choix ?

J’étudiais la philosophie le soir quand je bossais en tant que project manager. Je me suis vraiment passionnée à 22/23 ans en découvrant Épicure et les philosophes autrichiens et allemands qui s’intéressent à l’énergie de la vie, la théorie du corps, ce qui nous anime, d’où vient notre créativité. Un jour, j’ai découvert Wilhelm Reich qui parle de la théorie de l’énergie sexuelle et vitale de l’orgone. Je me posais des questions après le premier album, j’ai déménagé, je suis sortie d’une relation un peu difficile, c’était dur financièrement. Malgré tout ce qui se passait dans ma vie, je me suis interrogée sur cette force qui me poussait à continuer. Plus t’entretiens cette force, plus elle devient claire.

En parallèle, j’étais tellement dans cette dark place que j’ai commencé la méditation. Je venais de sortir un album sur l’un des plus beaux labels au monde et en même j’étais toute seule dans mon appart’, je ne savais pas de quoi demain serait fait, je venais de quitter un job où j’étais super bien payée, j’avais vendu ma maison. Qu’est-ce que j’allais faire maintenant ? À ce moment, tu pries pour un miracle. Je me souviens du jour où j’ai accepté de m’abandonner à quelque chose de plus grand que moi. Et là, j’ai commencé à m’intéresser à l’hindouisme et au yoga en même temps que j’écrivais Orgone.

La chanson « egotrip » parle de ça. Je me souviens d’un moment spécial où je méditais pendant 90 jours au cours d’un cycle mandala. Les hindous t’expliquent que tu parviens à développer ta conscience en calmant ton esprit. J’étais dans mon jardin et pendant une micro-seconde j’ai eu la sensation que ma conscience sortait de mon corps. C’est un phénomène très documenté qui correspond à un niveau de développement de ta conscience et qui m’a inspiré ensuite la chanson « egotrip ».

Cet événement a déclenché énormément de choses. Le développement personnel permet d’apprendre beaucoup de choses sur soi, sur notre manière de réagir au monde, sur notre manière de réagir aux événements. Tout est sujet de perspective quand un truc t’arrives ; comment tu réagis quand quelqu’un t’agresses ou lorsque t’es bloqué dans les bouchons. J’ai évidemment envie de faire passer ce message le plus possible.

Sarasara a signé un featuring sur « Tinkertoy » avec son célèbre voisin… Peter Doherty
Marin : Un autre artiste avec qui t’as collaboré s’est apaisé après des heures sombres, c’est Peter Doherty. Comment s’est faite votre rencontre ?

Sarasara : J’ai déménagé à Margate quand j’étais un peu pommée pour écrire mon album. Je cherchais un espace où je pouvais écrire mes chansons. Un jour, je suis tombée sur un vieux magasin dans un grand bâtiment un peu creepy qui vend des meubles vintage et des monstres de train fantôme. Le mec me dit que je peux prendre l’étage en me prévenant que c’est ultra pourri. Il n’y avait pas de fenêtres, des trucs qui pendaient du plafond, et un immense sceau doré avec un arc en ciel au fond de la pièce. Les gars du magasin m’ont aidé pendant un mois à refaire un super espace d’écriture avec des murs blancs et ma table pour poser mes speakers.

Les gars du magasin avaient mis deux drapeaux français en bas de l’escalier de la mezzanine. Un jour un mec est arrivé : « Je veux acheter les deux drapeaux ». Je suis descendue en lui expliquant que c’était les miens. Je ne savais pas du tout que c’était Peter. Il m’a dit : « Salut, je suis Peter ». Il n’avait pas son chapeau, je le connaissais seulement de nom. On est allé boire un thé dans un jardin de Margate, et une semaine après il est revenu : « J’ai loué le studio à côté du tien ».

On était voisins de studio, j’étais en haut et lui à côté de la porte. Il jouait de la guitare, je faisais mes beats, et un jour il m’a dit : « Viens, il faut qu’on fasse un truc un de ces quatre ». Peter est super go with the flow, tu ne peux pas lui demander d’écrire une chanson comme ça. Un soir, il a toqué à ma porte en m’annonçant : « Ça y est, je suis prêt ». J’ai envoyé la chanson au label pour l’enregistrer en studio. C’est un super artiste mais ce n’est pas quelqu’un que tu peux manager, il est son propre manager. S’il a envie de ne rien foutre il ne fait rien, mais si tu l’attrapes dans les bonnes heures c’est un super artiste. Il a quarante ans mais t’as l’impression qu’il en a deux-cent trente.

Ils ont racheté un hôtel à Margate qu’ils convertissent en studio professionnel pour artistes. On a commencé à travailler sur un autre projet de spoken words. Il est à fond dans la poésie française et notamment Rimbaud qu’il lit, et moi j’écris la musique dessus. On a quelques chansons qu’on terminera bientôt après nos tournées promos.

La commune typique du Kent peut compter parmi ses résidents Sarasara et Pete Doherty
Marin : Tu parlais de spiritualité tout à l’heure, est-ce que tu crois aux signes qui concordent à certains moments de nos vies ?

Sarasara : Absolument, c’est toujours la question d’aller avec le flot de la vie. Il faut savoir prendre une action au moment opportun mais aussi se laisser porter en ayant la foi. Même si tout était contre moi j’avais cette détermination d’aller à Margate et boom, Peter débarque. Son manager m’a dit que je devais avoir des pouvoirs magiques parce que personne n’avait réussi à le mettre dans un studio depuis cinq ans. Cette synchronicité arrive.

Pour mon gig à Paris [NDLR : au Studio des Variétés], Malik Djoudi dont j’adore le travail est passé à mon show. Pareil à Séoul, un autre artiste qui a fait un remix pour mon album est venu à mon gig et on parle de travailler ensemble depuis. La spiritualité c’est aussi suivre son instinct, même si ça fait peur, même si tu ne sais pas où tu vas. Parfois, la seule chose que tu sais c’est que tu dois le faire, et le reste vient ensuite.

Marin : J’ai une dernière question que je pose à tous les artistes que je rencontre. Quelle est ta définition d’un artiste ?

Sarasara : Nietzsche disait que le plus haut statut de l’Homme est d’être artiste. Je crois que le but de la vie est de créer des choses et pas seulement de se laisser porter par le système de l’argent. On a besoin de la créativité que l’on a tous en nous. Être artiste c’est avoir du courage et croire en son instinct, parfois être un peu égoïste pour rester fidèle à ce que tu ressens. Un moment donné dans ta vie, tu te rends compte que t’as cette force en toi qui te pousse. Il faut l’écouter, la maîtriser, et essayer d’en faire quelque chose. C’est la définition la plus poétique je puisse trouver à cette heure-ci (rires).

Retrouvez Sarasara sur Facebook et Instagram.

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