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Entretien avec Catherine Léger, scénariste de « Charlotte a 17 ans »

Entretien avec Catherine Léger, scénariste de « Charlotte a 17 ans »

Marin Woisard

« Charlotte a 17 ans » nous vient tout droit du Québec avec une recette jouissive : fun, sexe, et féminisme. Notre coup de cœur de la semaine.

Charlotte a 17 ans, l’âge des craquages et des découvertes. Après sa première rupture, elle pense que sa vie est foutue. Foutue, jusqu’à ce qu’elle trouve un petit boulot dans un magasin de jouets, où paradent des vendeurs aussi cools que sexys. On y travaille un peu, on s’y amuse beaucoup. Charlotte se laisse prendre au jeu et enchaîne les histoires d’un soir. Mais les ragots la rattrapent. Un gars qui enchaîne les filles, ça va. Une fille… Et si on dépassait enfin tout ça ?

Charlotte prend son pied, et nous aussi

Au Québec, le film s’appelle « Charlotte a du fun ». Mais son titre devrait être « Salope dans le bon sens du terme », traduction littérale de son exploitation internationale « Slut in a Good Way ». Voilà qui pose les bases d’un registre ouvertement décomplexé qui bat en brèche les idées reçues sur la sexualité féminine. Par ses regards appuyés face caméra, son noir et blanc intemporel, et ses discussions à bâton rompu, « Charlotte a 17 ans » est un film anti-clichés. Enfin une comédie romantique qui tape dans le mille.

Catherine Léger écrit depuis plus de dix ans sur la cause féminine sans se revendiquer militante féministe : son but premier est de libérer les femmes en les faisant exister dans leurs imperfections. Après avoir récemment adapté la série Dix pour Cent pour la télévision québécoise, Catherine Léger se confie à Arty Paris sur la création de « Charlotte a 17 ans ».

Marin : Hello Catherine. Nous avons rarement vu une comédie aussi fun, féministe et québécoise. Quels étaient tes modèles à l’écriture ?

Catherine : Le féminisme est une bataille à mener encore aujourd’hui, le pari d’en faire une comédie aurait pu paraitre risqué. Or, on voit avec des artistes comme Amy Schumer, Tina Fay, Lena Dunham, que la comédie féministe est non seulement bienvenue, mais carrément rafraichissante. Ces femmes font un travail remarquable pour diversifier les propositions de personnage féminin à l’écran et souvent en étant le plus réaliste possible.

Après avoir vu la série Girls, on réalise à quel point Sex and the city n’était peut-être pas si féministe que ça, avec sa vision très traditionnelle de la femme. Et c’est ce souci d’avoir des personnages féminins vraies, libérées d’une vision rigide de la culture féminine girlie qui m’a le plus inspiré.

Ce sourire en coin, c’est la montée du girl power.
M. T’observes la petite communauté des étudiants à temps partiel dans un magasin de jouets. Qu’est-ce qui t’intéressais dans le jeu de séduction en huit-clos ?

Catherine : Au Québec, presque tous les jeunes ont des emplois à temps partiel dès l’âge de 15-16 ans. Pour une Charlotte par exemple, qui côtoie des garçons de son âge, dans le même cadre scolaire depuis toujours, c’est l’arrivée dans un monde adulte où les gars sont un peu plus vieux et plus séducteurs, où il n’y a plus de surveillance ou de morale. Les codes changent et les jeunes sont libérés du cadre social très hiérarchisé de l’école.

C’est le lieu parfait pour des nouvelles intrigues amoureuses.

Bienvenue dans un JouéClub québécois.
M. Tu parles avec la réalisatrice Sophie Lorrain d’une génération qui n’est pas la tienne. Comment as-tu travaillé les dialogues et les situations qui sonnent très justes ?

Catherine : Je ne suis pas du genre nostalgique, sauf dans mon rapport à l’adolescence. C’était la belle époque. On refaisait le monde aux cinq secondes, on prenait le temps de réfléchir à tout, on était philosophe et rebelle. J’ai écrit le film en étant très connecté à mes souvenirs magnifiés, j’en conviens, mais aussi en observant les jeunes autour.

C’était clair pour moi qu’il fallait que les jeunes soient très articulés sur toute sorte de théories, tout en restant plus confus émotionnellement. Parce qu’ils sont brillants les jeunes, mais ils n’ont pas toujours l’expérience pour soutenir leur intelligence. Ça donne des théories bien intentionnées comme celles de Charlotte, qui explique que « Dans la vie si veux pas être dépendante affective, faut que sois libre » pour justifier une exploration sexuelle qui est surtout motivée par ses hormones.

Une réunion d’ados façon colloque.
M. La thématique du film est féministe mais le personnage de Charlotte est juste à l’aise avec sa féminité. C’était important pour toi de rappeler que la libido n’est pas l’apanage des gars ?

Catherine : Complètement ! J’ai grandi avec une éducation sexuelle qui se résumait à : « t’as le droit d’attendre d’être amoureuse, t’as le droit de dire non. » Finalement, on ne me parlait jamais de ma libido, on me donnait un cours d’auto-défense contre la libido des garçons.

Le discours et la fiction ne semblent pas avoir tant évolués. J’avais envie de faire un portrait plus honnête de la sexualité des jeunes filles. Elles ont des hormones ! Elles vivent du désir de manière chaotique, pas juste au bon moment ou avec le bon sentiment amoureux.

Pourquoi les gars auraient t-il l’exclu de la libido ?
M. Charlotte et son groupe d’amies passent haut la main le test de Bechdel. Tu voulais diversifier les points de vue et les discours sur la sexualité féminine ?

Catherine : Au départ, je voulais carrément inverser le point de vue du teen movie habituel et maintes fois éprouvés, où on voit des garçons qui veulent perdre leur virginité. Juste ça. Mais le constat que ce point de vue a été si peu exploré en fiction, m’a amené à vraiment habiter à fond le discours de ses jeunes filles sur la sexualité.

La réaction des femmes de tout âge au film m’a confirmé que la fiction était en retard sur la réalité. Les femmes se reconnaissent tout simplement et en ce sens le film n’est pas choquant. Ce qui est choquant, c’est que la fiction laisse si peu de place au point de vue féminin. La sexualité féminine est souvent représentée par la négative. Grossesse non-désirée, peine d’amour, agression. Encore là, on ne parle pas du désir féminin, mais de masculinité toxique. Alors tant mieux, si le film contribue à diversifier le discours.

Dans le film, les mecs ne sont pas pour autant caricaturaux.
M.La force du film est de ne pas porter un regard moralisateur. C’était aussi ton ambition de montrer l’évolution des gars vers une masculinité positive ?

Catherine : Il me semble que la masculinité toxique est surreprésentée. Surtout à l’adolescence où les garçons sont souvent plus timides et moins entreprenants que les filles. Ceci dit pour que la libido masculine ne vole pas le show de la libido féminine encore une fois, les personnages masculins ne pouvaient être autrement que positifs.

Il fallait que Charlotte soit en train d’explorer librement pour aller au bout de sa propre réflexion. Je ne voulais pas qu’elle soit en réaction aux besoins des garçons, mais en réaction à ses pulsions. Parce que c’est ça le sujet. Et les gars ont quand même le beau rôle de provoquer le désir. Ça fait changement.

Merci Catherine pour ce superbe scénario. « Charlotte a 17 ans » est notre coup de cœur de la semaine.
CHARLOTTE A 17 ANS

Écrit par Catherine Léger, réalisé par Sophie Lorrain
Avec Marguerite Bouchard, Romane Denis, Rose Adam 

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