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« Bacurau » : vivre, survivre et mourir dans le Brésil de Bolsonaro

« Bacurau » : vivre, survivre et mourir dans le Brésil de Bolsonaro

Marin Woisard

Auréolé du Prix du Jury au Festival de Cannes, Bacurau du brésilien Kleber Mendonça Filho co-réalisé avec Juliano Dornelles est un véritable western contemporain, où la violence sociale devient celle des armes.

Dans l’imaginaire européen habituel, le Brésil tient aux plages festives de Rio de Janeiro, aux tensions armées dans les favelas, et la figure du latino lover. Parmi les productions récentes du pays, La Cité de Dieu (2002), Troupe d’Elite (2007) et la filmographie de Walter Salles sont parmi les plus cités. Mais dans sa part de réalité et de fantasme, cette vision est centrée sur le Sudeste, région riche et blanche de par son immigration européenne, qui ne donne à voir qu’une infime fraction de ce pays grand comme quinze fois comme la France.

Dès 2016 avec Aquarius, Kleber Mendonça Filho s’est employé à montrer les luttes invisibles d’un peuple fier et complexe. Avec la situation politique que l’on connaît actuellement, il déplace sa caméra dans la région plus pauvre et méconnue du Brésil, le Nordeste, où il projette une fable politique décomplexée : Bacurau.

Un Brésil complexe et fiévreux

Dès son ouverture, Bacurau décrypte ce rapport complexe entre Nordeste et Sudeste. Venue enterrer sa grand-mère éteinte à l’âge de 94 ans, Teresa arrive au village avec une valise pleine de vaccins en guise de présent. Car Bacurau, du nom de la petite ville imaginaire du sertão brésilien, s’appuie sur sa communauté aussi solidaire qu’isolée.

En proie aux magouilles d’un politicien véreux, ses habitants sont privés d’eau courante depuis la construction d’un barrage (dysfonctionnel, forcément), et sont ravitaillés par un camion citerne. Dans ce microcosme, les gorges sont sèches et les cœurs emplis de colère. Avec un regard proche du néo-réalisme italien, Kleber Mendonça Filho s’emploie à tirer une peinture sociale loin de la carte postale, où défileront plus de quarante personnages (!).

« Bacurau » signifie en portugais « engoulevent », un oiseau crépusculaire et nocturne qui se camoufle très bien quand il se repose sur une branche d’arbre. Juliano Dornelles dresse le parallèle entre l’animal et le village : « Il ne sera remarqué que s’il a lui-même envie d’apparaître. Le village de Bacurau se porte ainsi, il est intime du noir, il sait se cacher et attendre, et préfère même ne pas être aperçu »

Extinction imminente

Des signes avant-coureurs annoncent la disparition imminente de cette petite communauté : la ville est rayée de la carte virtuelle Google Maps, une soucoupe volante menace la quiétude ancestrale du village, et peu à peu les habitants disparaissent sans donner signe de vie. Faisant front d’un seul homme-femme, hors-la-lois, commerçants, prostituées, professeur et alcoolique se rassemblent dans une lutte commune pour leur survie. Ce Brésil invisible que certains voudraient faire disparaître n’est pas sans rappeler le schéma classique du western, Rio Bravo en ligne de mire, à la différence que l’ennemi n’est plus l’indien mais le sauvage américain (n’en disons pas plus). Finalement, l’intention des deux réalisateurs est claire : parler de l’extinction violente et programmée d’un mode de vie ancestral sous les ingérences politiques et impérialistes.

Ce petit village tranquille où chaque rôle est socialement défini, est à l’image de la société brésilienne. Dans le Far North, tout le monde occupe une fonction vitale au bien-vivre ensemble. Mais le remettre en question revient à se confronter à une forte cohésion où l’histoire a été écrite par les armes, et sa mémoire encore fraîche. Avec Bacurau, Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles synthétisent parfaitement la conscience d’un peuple considéré comme rétrograde, tandis que la pensée réactionnaire vient de ceux qui prétendent incarner la modernité. Dans un patchwork audacieux et maîtrisé de genres (social, western, science-fiction), les réalisateurs subliment la puissance d’une ruralité fière et indépendante, en rappelant sa force intemporelle. Du grand cinéma.

BACURAU
Réalisé par De Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles 
Avec Barbara Colen, Sônia Braga, Udo Kier 
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